BUJUMBURA, 1er mai (ABP) – Le tribunal de Grande Instance de la province de Bujumbura (rural), siégeant en matière de flagrance pour des propos haineux à l’égard de ses adversaires politiques et visant à perturber la sécurité, prononcés le 15 avril 2018 sur la colline Migera de la commune Kabezi, voisine de la capitale Bujumbura, a condamné lundi Melchiade Nzopfabarushe (photo : en tenue verte) à trois ans de prison, a-t-on constaté. L’audience publique a eu lieu à la prison centrale de Bujumbura (Mpimba) où il est détenu depuis ce dimanche 29 avril.
Le ministère public l’a arrêté après la découverte de la circulation sur les réseaux sociaux d’une vidéo, tenant lieu de preuve, d’autant plus que M. Nzopfabarushe a reconnu qu’il en est l’auteur. Dans son acte d’accusation, le ministère public lui reproche d’avoir déclaré que ses adversaires politiques seront embarqués dans un bateau et qu’à partir de la rivière Karonge, ils seront déversés dans le Lac Tanganyika et servir de nourriture aux poissons qui se font de plus en plus rares. Il a qualifié cela de menace contre les personnes et les propriétés, infraction prévue et punie par l’article 493 du code pénal, livre II. Dans ses propos, M. Nzopfabarushe a également jeté l’alarme dans la population par menace de danger à vie en demandant aux adversaires de rester dans leurs maisons au risque de subir des sanctions, infraction prévue par l’article 494 du code pénal, livre II . Il est en outre accusé d’avoir attenté à la sécurité intérieure de l’Etat en propageant des rumeurs qui sèment la panique, infraction punie par l’article 625 du code pénal, livre II. La 4ème infraction est d’avoir porté atteinte aux valeurs du parti CNDD-FDD et terni son image comme celle du gouvernement burundais en disant que les propos tenus étaient aussi des messages des habitants de sa colline natale Migera, membres de ce parti au pouvoir. De plus, note le ministère public, les allégations de M. Nzopfabarushe soulignent que les mêmes messages étaient en train d’être transmis au niveau de toute la commune et de tout le pays. Le ministère public a estimé que de tels messages diffamatoires sont sources de perturbation de la sécurité, de discorde sociale et de conflits entre les autorités et la population, faits punis par l’article 264 du code pénal.
Le ministère public a ainsi requis six ans de prison et 300.000 FBu d’amende pour tous ces quatre infractions. Un avocat du parti CNDD-FDD a pour sa part demandé des dommages-intérêts d’un million de FBu à cause des allégations qui ternissent l’image du parti. Assisté par un avocat, M. Nzopfabarushe a, de son côté, plaidé non coupable et demandé l’acquittement, arguant que le procureur a mal interprété ses propos. Il s’est défendu en disant que ses propos traduisaient un discours politique adressé aux adversaires politiques qui n’adhèrent pas aux programmes de développement du pays. Il a expliqué que le bateau, la rivière et le lac cités sont des moyens et voies de transport qui vont conduire en paix ces adversaires pour aller vivre ailleurs, via la voie maritime.
Comme l’accusateur et la défense réclamaient tous l’écoute de la vidéo, ceux qui étaient à l’audience ont écouté un extrait de la vidéo. L’affaire a été prise en délibéré et après environ deux heures d’instruction, les juges ont prononcé le jugement des trois années de prison sans prendre aucune décision sur l’action civile intentée par le parti CNDD-FDD qui pourra être plaidée ultérieurement.
L’avocat de la défense a dit à la presse qu’il n’est pas satisfait du déroulement du procès et qu’il va faire appel. Pendant les 1ères minutes du procès, la défense a estimé que la procédure de flagrance suivie ne respecte pas la loi quand les faits incriminés datent de 15 jours. Pour le ministère public, la circulation des propos sur les réseaux sociaux est assimilable à la clameur publique qui justifie la flagrance.
Au même chapitre, la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) a fait lundi le 30 avril 2018 à son siège de Bujumbura, une déclaration condamnant fermement les propos scandaleux et irresponsables tenus au mois d’avril 2018 par un politicien du nom de Melchiade Nzopfabarushe, manifestant son intention de recourir à la violence dans le traitement des adversaires politiques. Ces propos condamnables, adressés à un groupe d’habitants de la localité de Migera, constituent des actes de propagande de la haine politiques en violation de l’éthique et des règles régissant les activités politiques en République du Burundi et au niveau international.
La CNIDH a profité de cette occasion pour lancer un appel à tous les acteurs engagés dans les préparatifs du prochain referendum constitutionnel et des élections à venir, de promouvoir la paix, l’unité, la tolérance politique, le respect de la loi et du verdict des urnes. Ils doivent aussi éviter tout comportement, discours, acte ou omission susceptible de compromettre les acquis du peuple burundais sur le plan de la cohabitation pacifique, la cohésion sociale, la consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit, de la stabilité politique et du respect des droits de l’homme. La CNIDH appelle également la justice burundaise à prendre ses responsabilités face à tout dérapage susceptible de constituer une entrave illégale à l’exercice des libertés publiques ou de porter atteinte aux droits de l’homme, surtout en période électorale.
Le président de l’Observatoire national pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et des autres crimes contre l’humanité (ONPGH), M. Jean de Dieu Mutabazi a aussi condamné les propos d’incitation à la haine et à l’intolérance politique tenus par M. Nzopfabarushe. Dans un communiqué, il félicite la justice burundaise pour s’être saisie de ce cas rapidement et l’encourage à sévir contre les partisans de la violence, qu’ils soient du parti au pouvoir ou de l’opposition, particulièrement en cette période électorale.
L’ONPGH réitère son appel à l’endroit de la classe politique burundaise en faveur du « Oui » ou du « Non » que l’heure n’est pas au recours à la violence, mais à une compétition démocratique libre et apaisée. M. Mutabazi remercie également le parti au pouvoir pour avoir pris la distance et puni son militant.