BUJUMBURA, 25 juin (ABP) – Caritas N., sexagénaire, n’a jamais eu d’enfant. L’infertilité de son couple lui a valu la stigmatisation et l’abandon par son mari, malgré qu’elle n’y était pour rien. Au départ, confie-t-elle, il n’y avait aucun problème, mon mari et moi espérions que nous allions avoir des enfants, même si des années commençaient à passer.
A la troisième année de mariage, son mari lui propose d’aller consulter un médecin pour savoir pourquoi elle n’arrive pas à concevoir. « J’ai consulté trois médecins. Chaque fois, je voulais vérifier si ce qu’ils me disent se recoupent », affirme-t-elle, précisant que tous les examens médicaux qu’ils lui ont fait faire n’ont révélé aucune pathologie. C’est alors qu’elle demande à son mari d’aller consulter le médecin à son tour. Les examens médicaux ont révélé que son sperme avait une anomalie, tel qu’il ne pouvait pas avoir un enfant, et que cette pathologie ne peut pas être soignée. « Nous avons reçu cette nouvelle comme un choc : penser que l’on ne pourra jamais avoir une progéniture, vous ne pouvez pas imaginer l’effet que cela produit dans le cœur de la personne qui se trouve dans cette situation », explique Mme N. Pour elle, le pire était à venir, parce que son mari n’a jamais accepté cette situation. « Pour prouver à la face du monde qu’il peut être père, il m’a abandonnée pour épouser une fille-mère qu’il prétendait avoir engrossée. Quand j’ai fait recours à sa famille pour le convaincre de revenir vivre avec moi, étant donné que même avec une autre femme, il ne pouvait pas avoir un enfant, un de ses frères m’a répondu que la concubine « a pu le retenir parce qu’elle lui a donné un fils ». « Que veux-tu qu’il fasse chez toi, si tu ne peux pas avoir des enfants», m’a-t-il lancé avec dédain ».
Aujourd’hui, Caritas N. vit seule, dans la maison où elle a grandi avec ses parents. Elle se débrouille avec son maigre salaire d’enseignante, sans aucune assistance de son mari, alors qu’il gère des biens qu’ils ont acquis ensemble. « Ce qui me blesse le plus, c’est que les gens chuchotent, en me montrant du doigt, que je suis Intavyara (celle qui est incapable de procréer), alors que je sais pertinemment bien que je suis fertile », indique-t-elle.
D’après Dr Gabriel Nahayo (photo), médecin gynéco-obstétricien, l’infertilité est due à des causes multiples, qui peuvent être d’origine masculine ou féminine. On parle d’infertilité primaire pour un couple qui n’a jamais eu d’enfant et d’infertilité secondaire pour un couple qui, après avoir eu un ou des enfants, cherche une grossesse sans succès depuis deux ans de cohabitation régulière. « Parce que deux ans c’est la période théorique au bout de laquelle environs 95% de couples ont une grossesse. Autrement dit, un couple normal aux environs de 25 ans a une chance de 30 à 35% d’avoir une grossesse », précise-t-il. Les causes masculines de l’infertilité peuvent être liées aux anomalies du sperme ou à son acheminement vers les voies génitales féminines, ou être liées aux obstacles liés aux rapports sexuels. Les causes féminines sont liées aux obstacles de formation de la cellule germinale féminine ou aux anomalies de l’appareil génital, aux troubles hormonaux ou génétiques. Il arrive que les causes soient mixtes : c’est lorsqu’elles se retrouvent chez les deux partenaires.
« Le couple infertile est souvent menacé de dislocation. La menace vient de l’intérieur du couple, de leurs familles respectives ou de leurs amis », souligne Dr Nahayo, ajoutant que même si en réalité on ne peut pas parler de prévention, il faut éviter les infections sexuellement transmissibles. Quant aux conséquences sociales de l’infertilité, telles que la maltraitance des femmes, la stigmatisation et le divorce, il recommande une éducation sociale. « Il est important d’expliquer que l’infertilité peut être soignée. Que les gens qui ont des problèmes consultent les médecins. Car, pour une grande partie, il est possible de les guérir », précise-t-il. L’éducation sociale que recommande Dr Nahayo concerne aussi le respect des droits humains des femmes et les méfaits de la stigmatisation. Une mission qui incombe aux écoles, à l’administration, aux médias et aux confessions religieuses.
« Au Burundi, une femme qui ne peut pas avoir des enfants n’a aucune valeur. Elle est une malédiction pour la famille. Il vaut mieux ne pas se marier que de se marier et ne pas avoir des enfants pour une femme », indique M. Manirambona, un sage de la colline Mwura, commune Mugongo-Manga en province Bujumbura, ajoutant que dans la tradition burundaise, si un couple n’arrive pas à avoir un enfant, c’est toujours la faute à la femme et c’est une cause de violences conjugales.
Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’infertilité affecte près de 30% de couples sur le continent africain.